Il y a quarante ans un grand psychiatre Jean Delay, inventeur des neuroleptiques, avait employé sa retraite à remonter le temps en ressuscitant la branche maternelle de sa famille, établie à Paris depuis le 16e siècle. Après avoir donné ses lettres de noblesse à la psychobiographie en se penchant sur la vie de son ami André Gide, ce médecin humaniste, membre de l’Académie française, avait ainsi inventé un autre genre littéraire : la sociobiographie. Au terme de son voyage « au pays des archives » tout un monde revivait littéralement sous sa plume.
Inspecteur général des Finances, ancien directeur de la Monnaie, Patrice Cahart, qui publie ses livres sous le nom de Nicolas Saudray, s’est lancé un défi encore plus impressionnant puisqu’il a entrepris de partir sur les traces de douze familles de son ascendance. Douze familles disséminées partout en France, même si plusieurs d’entre elles étaient originaires de Normandie. Douze familles possédant un profil général très contrasté, les unes peuplées d’hommes de loi, les autres de militaires, d’autres enfin d’artisans et de commerçants.
Le travail d’investigation accompli par l’auteur est colossal et le résultat ne déçoit pas. Parmi tous ces ancêtres certains ont acquis une certaine notoriété ce qui donne du relief au récit. Il en va ainsi de Jean-Baptiste Elie de Beaumont, avocat de l’affaire Calas aux côtés de Voltaire et créateur des superbes jardins de Canon, près de Caen. Deux ecclésiastiques dont l’itinéraire fut contrasté surgissent aussi : le pasteur Lambert Daneau, figure de proue du calvinisme au XVIe siècle et l’abbé Robert Regnet, victime des massacres de septembre, plus tard béatifié. Surprise : on voit même apparaître un collatéral illustre de l’auteur en la personne du singulier Éric Satie, musicien aussi extravagant que génial.
« Indépendamment de l’intérêt suscité par ces nombreuses destinées révélatrices d’une époque et d’un milieu, le livre de Patrice Cahart est riche de leçons. »
Indépendamment de l’intérêt suscité par ces nombreuses destinées révélatrices d’une époque et d’un milieu, le livre de Patrice Cahart est riche de leçons. En suivant le cheminement de tous ces personnages, il apparaît que, nonobstant bien des obstacles, une certaine mobilité sociale existait dans cette France d’hier. Sans doute y avait-il aussi des revers de fortune spectaculaires. Ainsi dans cette ascendance, des familles jusque-là bien établies voient leurs enfants devenir meunier ou maréchal ferrant. Certaines périodes se révèlent évidemment particulièrement propices à ces bouleversements dans un sens ou dans l’autre, à commencer par la Révolution. Au cours des événements qui déchirèrent la France de 1789 jusqu’au Directoire certains perdirent la vie, les autres leur position sociale tandis que d’autres encore accumulaient des fortunes.
Patrice Cahart a inscrit en sous-titre de son livre : quand la petite histoire se marie à la grande. Il a eu raison. Ses patientes enquêtes auraient certainement captivé Tocqueville, dénonciateur de la centralisation française, puisqu’elles montrent que depuis des siècles, à quelques exceptions près, toute réussite sociale s’est accompagnée d’un mouvement vers la capitale.
L’Histoire de France vécue par douze familles
de Nicolas Saudray, Edisens,
495 p., 29 €
© Edisens