La guerre de l’information de Vladimir Poutine
David Colon détaille les stratégies de manipulation de l'opinion publique menées par la Russie, sous la direction de Vladimir Poutine, pour déstabiliser l'Occident à travers des campagnes de désinformation, notamment via des réseaux.
Le 4 septembre 2024, le ministre américain de la Justice, Merrick B. Garland, a dénoncé une « campagne secrète visant à interférer dans les élections et à en influencer les résultats ». Les autorités américaines ont en effet saisi 32 domaines Internet utilisés par un vaste réseau russe de désinformation nommé Doppelgänger, qui depuis mars 2022 s’emploie à diffuser la propagande du Kremlin en créant aussi bien de faux sites d’authentiques médias que d’authentiques sites de faux médias.
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Comme l’a mis en évidence Viginum, le service français de vigilance contre les ingérences numériques étrangères, ce réseau est animé par deux sociétés russes spécialisées dans l’influence et le marketing numérique, dirigées par Ilya Gambachidze, un « polit-technologue », du nom donné en Russie à ces hommes qui, pour certains depuis trente ans, ont fait profession de manipuler l’opinion publique au service du Kremlin ou de riches clients.
Ce n’est pas la première fois que le FBI dénonce ainsi une opération d’influence malveillante russe, mais il a cette fois-ci rendu publics des documents révélant que les responsables de l’opération Doppelgänger avaient rapporté directement leurs activités au président Vladimir Poutine. Jusqu’alors, personne n’avait publiquement apporté la preuve de l’implication directe de celui qui, depuis l’élection de Donald Trump, entretient la fiction de « patriotes » agissant de leur plein gré. « Les hackers, avait déclaré Poutine au Forum économique de Saint-Pétersbourg, sont des gens libres, comme les artistes qui se réveillent le matin de bonne humeur et commencent à peindre. »
Il était d’usage d’attribuer tantôt à « Moscou », tantôt au « Kremlin », ce que le porte-parole adjoint du ministère français des Affaires étrangères a qualifié en février dernier de « stratégie coordonnée de guerre de l’information ». Désormais, il convient de désigner ces opérations de manipulation de l’information à grande échelle, qui se traduisent en France par une série presque continue de manœuvres de déstabilisation, de guerre de l’information menée par Vladimir Poutine.
« L’implication personnelle du président russe dans ces opérations en Occident n’est pas surprenante au vu de leur caractère stratégique. »
L’implication personnelle du président russe dans ces opérations en Occident n’est pas surprenante au vu de leur caractère stratégique dans le contexte de la guerre en Ukraine, qui voit le Kremlin s’efforcer de fragiliser partout le soutien au régime de Kiev. Elle l’est encore moins si l’on considère le parcours et la formation du maître du Kremlin. Vladimir Poutine est entré en 1975 au KGB, alors dirigé par Youri Andropov, qui a fait de la désinformation un axe majeur de la fragilisation de « l’ennemi principal » de l’URSS : les États-Unis.
Après un début de carrière en demi-teinte dans le contre-espionnage, Poutine est affecté en 1985 à Dresde. Sous couverture diplomatique, il est officier de liaison auprès de la Stasi, qui a installé dans la capitale de la Saxe son unité spécialisée dans les opérations de désinformation et de subversion contre l’Occident, la 10e section de l’« administration centrale de la reconnaissance » (Hauptverwaltung Aufklärung). Ladite unité, dirigée depuis 1966 par Rolf Wagenbreth, a pour tâche, selon ses propres termes, de mener dans les sociétés adverses un « travail de décomposition » (Zersetzungsarbeit), consistant à fragmenter, paralyser et désorganiser les forces hostiles pour les empêcher d’agir.
Si l’on ignore précisément quelles ont été les activités de Poutine entre 1985 et 1989 à Dresde, le fait qu’il y ait côtoyé les agents est-allemands responsables, entre autres, d’opérations terroristes sous faux drapeau et de la prolifération en Europe et aux États-Unis de théories du complot à propos du sida ou de la mort de Kennedy n’est certainement pas anodin. […] LIRE LA SUITE
Publié dans la
Revue des Deux Mondes
Novembre 2024
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