À l’instar des rêves qui occupent un grand nombre de ses pages, ce quatrième roman à paraître en France de Kiyoko Murata (elle est l’une des auteures les plus récompensées des lettres japonaises) dissimule plus d’un sens caché. On le lit d’abord pour ce qu’il est : la chronique poétique d’une brève rencontre entre une femme mariée, propriétaire d’une maison japonaise traditionnelle, et un artisan. Rencontre qui ne se soldera pas par un adultère, mais par un affranchissement, un désir de liberté – une infidélité mentale.
On peut également lire Le Couvreur et les rêves comme un traité sur le mariage ou un manuel à l’usage des épouses qui s’ennuient ; et aussi comme une étude très sérieuse sur l’art gothique religieux en France et les pagodes au Japon. Parce que la pluie s’infiltre dans le salon de la famille Toriyama, l’intervention d’un professionnel se révèle nécessaire. Dès les premières heures, ce couvreur (Monsieur Nagase) intrigue la narratrice et maîtresse de maison. Sa présence silencieuse, mais palpable, l’incite à lui proposer de partager un thé, puis un repas – la narratrice ne travaille pas, ses journées sont oisives, une fois son mari et son fils partis vaquer à leurs occu- pations et le ménage effectué.
Le Couvreur et les rêves de Kiyoko Murata,
traduit par Sophie Refle, Actes Sud,
272 p., 22,50 €
Ainsi, d’un thé ou d’un repas à l’autre, Monsieur Nagase – dont on apprend qu’il est veuf depuis douze ans – raconte- t-il à son hôtesse les voyages qu’il fait en rêve et comment il existe une manière particulière, active, de rêver qui permet d’atteindre, pendant le sommeil, des lieux attirants pour vivre la nuit ce qu’on ne peut vivre, ou ce qu’on s’interdit de vivre, dans la jour- née. Comme partir en voyage avec un homme qui n’est pas votre mari et visiter les toits majestueux du Japon, mais aussi ceux des cathédrales gothiques de France (Paris, Amiens, Reims, Chartres) ; prendre des taxis dans Paris et manger des croque-monsieur; et pourquoi pas voler sous la forme d’un grand cygne et accéder à l’Everest et à l’Himalaya.
Riche de légendes et de croyances japonaises, d’une grande douceur et volontairement poétique, mais également empreint d’humour sur les liens du mariage, Le Couvreur et les rêves est une belle leçon de vie et de résilience, une leçon qui permet de se contenter de ce que l’on a dans la réa- lité, pour tout s’autoriser la nuit, par la magie des rêves. […] DÉCOUVRIR LE NOUVEAU NUMÉRO
Publié dans la
Revue des Deux Mondes
Décembre 2024 – Janvier 2025
Achetez ce numéro pour poursuivre votre lecture ou connectez vous à votre compte abonné
© Revue des Deux Mondes / Acte Sud