Amateur de canulars, d’apologues abracadabrants et de facéties féeriques, Bernard Quiriny excelle dans la forme brève de la nouvelle. L’Angoisse de la première phrase, Contes carnivores, Une collection très particulière, Histoires assassines et Vies conjugales ont été traduits dans plusieurs langues. Nouvelles nocturnes, son sixième recueil, qui en comporte vingt-cinq, confirme sa maîtrise de ce genre auquel il a donné un tour personnel.
On y devine néanmoins l’influence de grands virtuoses de la fiction concise et inquiétante, comme Jorge Luis Borges et Marcel Aymé (Quiriny fait explicitement allusion à ce dernier, dont il a repris le célèbre incipit : « Il y avait à Montmartre un excellent homme nommé… »). Il s’agit de faire disjoncter une situation souvent banale en y introduisant un phénomène fantastique, farfelu ou incongru.
« Il s’agit de faire disjoncter une situation souvent banale en y introduisant un phénomène fantastique, farfelu ou incongru. »
Insensiblement, cette perturbation aux conséquences parfois fatales nous montre qu’une circonstance absurde peut remettre en cause jusqu’à nos manières de vivre et de penser.
Nouvelles nocturnes de Bernard Quiriny,
Rivages, 224 p.,
19,50 €
Ainsi, dans « Le Gai Savoir », le narrateur rencontre un étudiant qui prépare une thèse sur rien afin de devenir docteur ès rien, la non-écriture de ce mémoire sans sujet le conduisant à le soutenir en silence, à coups de non-réponse, démontrant du même coup l’étendue de son érudition en la matière (il sera autorisé à ne pas publier son « odyssée intellectuelle »). « Duplicatas » met en scène un personnage doté de la faculté de se dédoubler en permanence, ce qui obligea ses parents à exécuter chaque matin son double, avant qu’il ne le fasse lui-même pour « procéder à sa propre régulation ».
Au comique de situation, Quiriny associe l’humour noir, voire macabre (d’où le titre du recueil). Il brosse des galeries de portraits de professeurs atypiques ou de maisons bizarrement hantées. Et imagine d’« amusants musées », un musée portatif, qui tient dans une valise, visitable à la loupe, un musée de la solitude, n’accueillant qu’un visiteur par jour, un musée des objets invisibles, ou trop petits pour être visibles, et un musée de la pluie qu’on visite en maillot de bain (on peut apporter son savon).
« Délices de lecture mémorables, ces nouvelles écrites dans un français impeccable, presque scolaire ont le pouvoir des grands textes littéraires. »
Délices de lecture mémorables, ces nouvelles écrites dans un français impeccable, presque scolaire (à dessein, pour faire valoir la plaisanterie, car Quiriny, qui enseigne le droit à l’université, tient des propos désopilants sans se départir de son flegme ni jamais sourire), ont le pouvoir des grands textes littéraires de vous faire changer d’humeur en quelques pages. […] LIRE LA SUITE
Publié dans la
Revue des Deux Mondes
Mai-Juin 2025
Achetez ce numéro pour poursuivre votre lecture ou connectez vous à votre compte abonné
© Revue des Deux Mondes / Rivages