Politique culturelle, une invention française
Jean-Michel Djian retrace l’histoire et les défis de la politique culturelle française, appelant à une refonte audacieuse pour libérer la création des entraves bureaucratiques et redonner à la culture son rôle émancipateur.
Plus encore que la vénérable Académie française instituée en 1635 par Richelieu pour encourager les meilleurs esprits du pays à s’échiner sous une coupole autour d’un dictionnaire, c’est bien Louis XIV qui, le premier, mit un pied dans la porte virtuelle d’un futur ministère de la Culture en créant, le 21 octobre 1680, la Comédie-Française. Comment ? En sommant les comédiens réputés des hôtels de Bourgogne et de Guénégaud de fusionner leurs troupes, à charge pour eux de jouer le répertoire et de briller sur scène. Comme le cardinal Mazarin, et surtout Colbert, eurent à la même époque la bonne idée de faire vivre une surintendance royale pour centraliser la gestion des Bâtiments de France, des arts, des tapisseries et des manufactures, il restait au Roi-Soleil à décréter que tous les métiers du spectacle, de la pierre, de l’écriture et de la peinture seraient sous sa protection, c’est-à-dire sous sa tutelle. culturelle
Le premier périmètre d’intervention public dédié aux affaires culturelles du pays était né, et, mieux encore, gravé dans le marbre de l’imaginaire national. Ainsi apparaît l’esquisse d’une politique culturelle entièrement dédiée à la gloire du royaume et, en premier lieu, à celui qui à Versailles en symbolise la flamboyance et le rayonnement.
La formule apocryphe « l’État, c’est moi » tombe sous le sens et trouve ici son point d’orgue. Chapeau l’artiste. Jamais, au XVIIe siècle, un État n’était allé aussi loin dans la prise en charge des choses de l’esprit au point de susciter à la Cour des vocations et en province des imitations, là où, jadis et avant que les Lumières n’éclatent, seuls les bouffons avaient droit de cité. En moins d’un siècle, l’Europe allait renvoyer aux oubliettes de la Rome antique la célèbre expression latine panem et circenses (du pain et des jeux du cirque) pour désormais exiger qu’au bénéfice du peuple et du roi des gens de talent se fassent connaître, avec comme seule ambition que les plus spirituels d’entre eux se mettent à distraire leurs congénères avec une grammaire et des mots plutôt qu’avec des armes et du poison.
Cette évolution des pratiques politiques, artistiques et divertissantes n’a dès lors cessé de se développer puis de se métamorphoser pendant qu’un appétit pour la distraction infusait dans toutes sortes de populations. Le progrès technique venant, une industrie artisanale des loisirs et des biens culturels prit le relais. Dès le XIXe siècle, cette industrie-là se mit à prospérer sur le terrain fertile d’une consommation débridée et d’une éducation de masse, profitant de l’affaissement des valeurs spirituelles et d’un temps libre libérateur. C’est tout le génie de la monarchie d’avoir réussi à insuffler un esprit « culturel » jacobin avant que la République n’en fasse de même en encourageant, au nom de la liberté et de la fraternité, les artistes à faire cause commune avec la démocratie.
« C’est tout le génie de la monarchie d’avoir réussi à insuffler un esprit « culturel » jacobin avant que la République n’en fasse de même en encourageant les artistes à faire cause commune avec la démocratie. »
Bien que les gouvernements s’épuisent depuis à contenir les déficits publics, que le règne des créateurs n’a jamais été symboliquement si puis- sant, aucun pouvoir politique n’a mis en péril cette mystique nationale consistant d’un côté à protéger le patrimoine artistique existant tout en encourageant de l’autre ce qui le deviendra. Néanmoins, entre le Premier Empire et le début de la Ve République, aucun chef de gouvernement n’est arrivé à regrouper la totalité des affaires dites « culturelles » au sein d’une administration d’État, et encore moins de la placer sous la tutelle d’un portefeuille ministériel pérenne.
C’est seulement dans l’effervescence gaulliste de l’après-guerre, qui elle-même coïncidait avec la montée en puissance des « trente glorieuses », que, le 24 juillet 1959, un ministère d’État des Affaires cultu- relles de plein exercice est créé. Il fut sans surprise confié à l’âme damnée du Général, André Malraux, résistant et écrivain de son état. Depuis cette date, les missions de ce nouveau maroquin se sont dilatées, ses actions déployées, sa légitimité consacrée. […] LIRE LA SUITE
Publié dans la
Revue des Deux Mondes
Décembre 2024 – Janvier 2025
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