À Marrakech, dans le quartier du Guéliz, Paulette, une coiffeuse juive et veuve, entend un bruit insupportable sans parvenir à l’identifier. Sa fille et son petit-fils viennent la voir de Paris afin de l’en délivrer, mais ils ont beau tendre l’oreille, ils n’entendent rien. Ils ne tardent pas à comprendre qu’elle n’est ni sénile ni victime d’acouphènes, mais hantée par une « poudrière de souvenirs », et que cette rumeur meuble le vide d’une absence, pareille à la voix des défunts et de ceux qui ont fui à l’étranger.
Ces fugitifs, ce sont ses coreligionnaires, comme le découvrent le petit-fils et sa mère en « pèlerinant » sur les lieux de culte de la communauté juive marocaine en compagnie de leur aînée. Après la guerre des Six Jours, la plupart ont quitté Marrakech pour rejoindre la France, l’Espagne, l’Amérique ou Israël. Il n’en reste plus que quelques milliers au Maroc, à Casablanca surtout, hormis les « fassis » nostalgiques, ces juifs convertis à l’islam comme le furent les marranes au christianisme pour ne pas être expulsés des royaumes de Castille et d’Aragon.
Paulette a manqué l’appel du grand exode. Et voici qu’il lui revient avec l’âge comme dans une chambre d’écho. Elle convoque les fantômes en prenant la pose d’Esther ou de Rebecca.
Tout le bruit du Guéliz de Ruben Barrouk,
Albin Michel, 222 p.,
19,90 €
L’argument de cette jolie fable aurait dû faire l’objet d’une nouvelle ou d’un bref roman (novella) à l’anglo- saxonne. Ruben Barrouk aurait atteint à la parabole biblique s’il avait resserré son récit ; explicite, la métaphore du bruit lancinant, inaudible aux jeunes générations, se suffit à elle-même. L’écueil de la dilatation en littérature, ce sont les commentaires. Ils nuisent au ressort dramatique en boursouflant son leitmotiv. Laissons-les aux critiques. Il est dommage que l’éditeur n’ait pas encouragé cet écrivain en puissance à donner un bon coup de peigne à son texte hérissé de midrashim.
Féru de prosopopées, d’arabesques et d’anthropomorphismes, Barrouk semble vouloir recréer par son style le décor marocain, jusque dans ses damasquineries sibyllines. Des phrases d’une trivialité baroque (« À Marrakech, l’Arabe a quelque chose de juif en lui ») sont heureusement contrebalancées par un lyrisme plus concis (« Le rétroviseur reflétait l’étrange expression d’une tristesse niellée sur son visage »). On espère qu’il élaguera un livre si perfectible, à l’occasion de sa réimpression, pour en extraire le roman qui y demeure en gésine comme une sculpture à moitié dégagée du marbre.
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Publié dans la
Revue des Deux Mondes
Décembre 2024 – Janvier 2025
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